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Jeu De Paum
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Jeu De Paum
30 octobre 2010

Remember ! Souviens-toi !


Une jeune femme entre dans la chambre, court vers mon lit et se jette sur moi. Elle prend ma tête entre ses deux mains et m’embrasse sur la joue.

« Désolée, le docteur a dit que je ne devais pas faire ce genre de chose pour ne pas te brusquer mais je suis tellement contente que tu sois réveillé et… »

Elle continue de parler mais il m’est difficile de la suivre. A la place, je l’observe. Elle s’est assise sur une chaise à côté de mon lit mais a gardé une main posée sur la mienne. Elle est très élégante, elle porte un pantalon à rayures marrons avec un petit chemisier beige et deux perles nacrées brillent sur ses oreilles. Je me demande qui ça peut bien être, ma sœur ? Ma petite-amie ? Ma femme ?? Ou juste une bonne amie ? Elle doit avoir la vingtaine, peut-être un peu plus. Moi on m’a annoncé tout à l’heure que j’en avais vingt-six, avant cela, je ne savais pas si j’étais un quinquagénaire, un nouveau-né ou un martien même si j’aurais eu tendance à dire que je venais de naître.

Une autre femme est venue me voir avant elle mais tout ce que j’ai enregistré c’est que c’était ma mère, les détails je les ai oubliés. C’est déjà une piste de plus concernant la femme qui est à côté de moi et qui n’est donc vraisemblablement pas ma mère.

Elle parle encore mais ne s’est toujours pas présentée. Je sens pourtant qu’elle en connaît long sur moi et ça me bouffe déjà de jalousie.

Je l’interromps :

« Qui es-tu ? »

Elle semble tétanisée un instant par la question puis me répond :

« Maurine, ta…euh…ton amoureuse. »

Elle eut un petit sourire craquant en disant cela. En effet, je la trouvais craquante mais malheureusement c’est tout ce que je pouvais ressentir pour elle.

« Ne t’inquiète pas ça te reviendra petit à petit. On va rentrer à la maison, ça va sûrement te rappeler plein de choses ! »

En même temps que son sourire était rempli d’espoir, une larme était prête à s’échapper de son œil droit. De nous deux, c’est elle qui semblait la plus inquiète, moi je découvrais.

 

 

Il y avait un digicode en bas de l’immeuble, Maurine me suggéra de le noter pour ne pas l’oublier. Je suivis son conseil. Ensuite on prit l’ascenseur malgré que l’appartement ne soit qu’au deuxième étage car nous étions chargés de mes bagages. J’ai passé quatre jours dans le coma, m’a-t-elle dit sur le chemin. Quatre jours dans le coma ou ailleurs ça n’avait pas d’importance pour moi, je ne m’en souvenais pas.

« Et voilà, c’est chez nous. »

Je me retrouvais à l’entrée d’un grand appartement qui sentait la même odeur que le parfum qui avait embaumé la pièce quand Maurine était entrée dans ma chambre d’hôpital. Il y avait un coin cuisine avec un bar qui faisait office de séparation avec le séjour : un sofa, un piano, des photographies en tout genre, de tous les formats et au minimum trois par mûr.

Maurine s’occupait déjà de ranger mes bagages.

« Le médecin a dit que ça serait bien d’acheter une télé car ça peut t’apporter des connaissances que tu as perdu. Tu n’en as jamais voulu, tu disais que ça t’enlevait des neurones et maintenant ça va t’aider à les récupérer, c’est plutôt ironique non ? »

« Tu joues du piano ? »

Elle s’approcha de l’instrument et commença à pianoter et chanter :

« Frère Jacques, Frère Jacques, dormez-vous, dormez-vous… »

C’était ridicule mais je me réjouis de reconnaître une des comptines qui avait bercé mon enfance. On se mit à rire.

« Ce piano appartenait à ton père, il nous l’a offert quand on a aménagé ensemble il y a quatre ans. Tu avais toujours rêvé de savoir en jouer et ça t’a permis d’apprendre. »

Je n’osais pas le toucher car je n’avais aucune idée de comment on en jouait. Je restai un moment planté devant comme un imbécile puis je me décidai à appuyer sur une touche. Le son qui en sorti fût très grave et fort. Un cri m’échappa. Maurine s’affola et courût à mon secours.

« Qu’est-ce qui se passe, tu ne te sens pas bien ? C’est ta tête ? Est-ce que tu as mal à la tête ? »

« Non, non, tout va bien, c’est juste le piano, il m’a fait peur. »

Elle poussa comme un soupire de soulagement.

« Tu m’as fait une de ces frayeurs, ce n’est qu’un piano! »

A peine arrivé dans ce monde et je me faisais déjà engueuler d’avoir crié à cause d’un piano.

« Bon, on n’a pas vraiment le temps de rester ici, il faut qu’on mange et je n’ai pas eu le temps de faire des courses du coup on va aller dehors puis après je te dépose chez ta mère, moi je dois partir travailler. »

J’avais l’impression d’être un enfant dont on défait les bagages, qu’on a dans les pattes et qu’on essaye de caser là où on peut. J’avais envie de proposer de rester seul mais ce n’était certainement pas prudent et puis j’avais hâte de refaire connaissance avec ma mère.

 

« Qu’est ce que tu veux commander ? »

Quelle drôle de question, elle savait certainement mieux que moi mes goûts culinaires, la seule chose dont je me rappelais c’est qu’enfant je n’aimais pas la soupe.

« La même chose que toi. »

Au comptoir la serveuse portait une casquette et semblait stressée.

« Deux menus Big Mac s’il vous plaît. »

On fût servi tout de suite et on partit s’asseoir.

« Tu as l’air d’aimer ! Avant tu me faisais toujours des histoires pour manger chez McDo. »

Les deux mots préférés de Maurine semblaient être « avant » et « docteur », ils étaient presque à chaque début de phrase.

«  Je ne sais pas trop, mon seul point de comparaison est le petit déjeuner de ce matin à l’hôpital, je ne sais pas ce que ça vaut. »

Elle sourit.

Je n’eus pas le temps de lui demander où elle travaillait que j’étais déjà devant la porte de chez ma mère.

« Je viens te récupérer dès que j’ai fini, vers 17h30 ou 18h s’il y a des embouteillages. »

« Pourquoi tu ne me laisses pas rentrer à pied ? On habite à cinq minutes, j’ai même reconnu l’immeuble en passant tout à l’heure. »

« Et si tu faisais un malaise ? Non c’est pas sérieux. »

Elle eut un moment de réflexion.

« Bon ok mais si tu as un problème tu m’appelles avec ton téléphone ou tu cries comme pour le piano tout à l’heure, d’accord ? »

J’acquiesçai même si je ne savais sûrement plus me servir d’un téléphone portable.

Je sonnai à la porte, un peu anxieux.

Une dame d’à peu près cinquante ans m’ouvrit et me serra aussitôt dans les bras pendant qu’une ribambelle de gamins s’était agglutinée autour d’elle.

« Ca me fait tellement plaisir que tu sois là, entre mon chéri ! »

Dans le hall, il y avait un miroir plaqué à un placard, j’y vis inévitablement mon reflet et je sentis mon cœur se resserrer. C’était donc moi. J’avais le regard vide et l’air très fatigué mais j’étais plutôt pas mal autrement : brun aux yeux verts, grand, mince mais pas trop. Je restai bloqué comme devant le piano et la voix d’une des enfants me réveilla :

« Qu’est-ce qu’il a Jeremy ? Il est devenu toc toc ? »

« Mais non ma puce, il sort juste de l’hôpital, il est un peu secoué c’est normal. Allez retourner vite jouer ! »

Ils coururent tous dans le séjour.

« Ah ces gosses, aucun tact ! »

« C’est rien, après tout c’est vrai que je suis un peu toc toc. »

Ca la fit sourire.

« Alors comment ça va depuis ce matin ? »

« Je me pose des questions alors que tout semble couler de source pour tout le monde. »

« N’hésites pas à en poser, le docteur a dit que c’était important. »

Le docteur… Elle ne va pas s’y mettre elle aussi.

« Et puis l’orthophoniste sera là pour ça. »

Je me contrefiche de l’orthophoniste, ce qui m’intéresse c’est ceux qui peuvent m’en dire le plus sur ma vie, mon ancienne vie.

« Qui sont ces enfants ? La petite a dit mon prénom tout à l’heure, je les connais bien? »

« Ah ça oui tu les connais ! Je les garde tous les soirs de la semaine et les mercredis. Lisa c’est ta petite préférée ! Tu passes presque tous les jours pour leur dire bonjour. »

C’est marrant elle parle au présent et pourtant je ne les connais plus et peut être que dans cette seconde vie Lisa ne sera plus ma préférée.

« Et Papa, où est-il ? »

Le visage de ma mère s’assombrit. Sans m’en rendre compte je venais d’aborder un sujet grave.

« Il est mort, tu ne te souviens pas ? »

Elle semblait surprise, moi pour un amnésique je trouvais ça plutôt normal.

« Non, je suis vraiment désolé. Maurine a dit qu’il nous avait offert un piano, j’ai cru que… »

« Oui, lorsque vous avez emménagé ensemble. Il nous a quitté deux ans après. »

J’aurais aimé pouvoir partager la peine de ma mère. Mon père mourrait pour la deuxième fois et ça ne me faisait pas grand-chose. Ca a pourtant du faire mon malheur la première fois. Je mourrais d’envie de savoir de quoi il était mort, comment je l’avais vécu et d’arracher ces quelques bribes de mon passé à cette dame mais ça semblait trop douloureux pour elle.

« Qu’est-ce que tu penses de Maurine ? » me demanda-t-elle.

« Elle est charmante mais je sens que mon état l’angoisse. »

« Oui, c’est parce qu’elle était là le jour où tu as fait ta crise, c’est elle qui t’a amené aux urgences. »

Elle s’arrêtait comme si je savais de quelle crise il s’agissait et ça m’énervait de devoir la pousser à me raconter la suite.

« Une crise de quoi ? »

« Les médecins ne te l’ont pas dit ? »

« Probablement si, mais à mon réveil on m’a assommé de diverses informations, je n’ai pas tout retenu. »

« Une nuit tu as fait une crise d’épilepsie, ce n’était pas la première fois mais disons que cette nuit là tu n’es pas sorti de la phase d’inconscience et tu ne respirais plus. »

J’avais tout imaginé, l’accident de voiture, la rupture d’anévrisme mais je n’avais pas pensé à l’épilepsie qui était une maladie dont je ne me rappelais même pas les symptômes.

Je sentis que je ne pourrais pas tirer aujourd’hui plus d’informations de ma mère et nous avons passé le reste de l’après-midi à jouer avec les enfants. Elle glissait tout de même de temps en temps une petite anecdote me concernant. On voyait qu’elle me voulait du bien. J’avais certainement eu la meilleure mère qu’il soit mais pour l’instant je n’avais que ces yeux pour me le dire.

Je pris congé aux environs de 17h. Dans la rue, mon chemin rencontra celui d’un chien tout aussi perdu que moi. Il était tout petit et tout blanc. Il me suivit tout au long de mon parcours. Je rencontra également McDonald’s, le restaurant dans lequel nous avions mangé le midi et étrangement il n’était pas au même endroit. Puis quelqu’un m’interpella et vint me saluer. Evidemment je ne reconnus pas le jeune homme mais je fis mine de rien car il ne semblait pas au courant de mon petit coma.

« Alors ce mariage, il se prépare ? »

Je répondis du tac au tac :

« Doucement mais sûrement. »

« Tu passeras le bonjour à Maurine. A plus Jerem’. »

On allait donc se marier. Comment était-il au courant ? Est-ce qu’on avait déjà fixé une date et envoyé des cartons d’invitations ? Je n’avais plus qu’une envie, rentrer et assommer Maurine de questions.

Devant l’immeuble, je sortis discrètement mon petit bout de papier sur lequel j’avais écrit le digicode car ça n’avait pas manqué, je l’avais oublié. Le petit chien était toujours là et comme j’avais apprécié sa compagnie je le laissai me suivre jusqu’à l’intérieur mais une fois devant l’ascenseur, impossible de savoir à quel étage j’habitais. Je pris donc l’escalier et grimpa les étages en regardant désespérément chaque plaque pour y trouver une Maurine ou un Jeremy ou bien les deux.

Il était encore trop tôt pour que Maurine soit arrivée, ce qui, malgré ma soif de savoir, m’arrangea car je pus observer l’appartement dans ses moindres détails. Dans la chambre, il y avait un magnifique portrait noir et blanc de Maurine sur la commode. Elle était totalement différente de ce que j’avais pu en voir. Elle était très peu maquillée, avait les cheveux au vent et semblait tellement libre et heureuse qu’on l’enviait presque. Au fond du couloir, il y avait une pièce avec une affiche sur la porte où était écrit « Fermé au public ». Cela me refroidit, pourtant j’étais chez moi et aussi bien j’étais responsable de cette stupide affiche. Tout de même intrigué, je pénétrai. C’était une chambre noire, des photographies pendaient sur un fil comme si elles venaient d’être développées, il y avait également un énorme appareil photo posé sur le plan de travail. Sur les photos, un pêcheur sur un bateau sous toutes les coutures. Des casiers étaient remplis d’albums mais lorsque je m’apprêtai à en ouvrir un dans l’espoir d’y trouver une photo de mon père, j’entendis la porte d’entrée et je remis tout en état comme si j’avais franchi l’interdit et qu’il ne fallait pas que je sois découvert.

« Ouf tu es là mon chéri, j’avais peur que tu ne retrouves pas le chemin. »

Elle allait s’approcher pour m’embrasser lorsque quelque chose la stoppa.

« Mais qu’est-ce que ce chien fait là ? Bon sang Jeremy, ne me dis pas que tu as ramené ce chien chez nous ? »

Et voilà j’étais de nouveau le gamin qui cette fois avait fait une bêtise.

« Enfin tu sais bien que j’ai horreur des chiens et que j’en ai une peur bleue ! »

Non, je ne sais pas justement.

« Il était seul et il m’a suivi depuis chez ma mère. Il est inoffensif ce chien, regarde il est tout petit, de quoi as-tu peur ? »

« Ca ne se contrôle pas ce genre de chose et ce n’est pas proportionnel à la taille figure-toi. Je me fiche de savoir qu’il était seul enfin mince qu’est-ce que tu vas nous ramener la prochaine fois ? »

« Oui mais je l’aime bien ce chien. Et si j’ai envie de le garder ? »

«Il appartient sûrement déjà à quelqu’un et on s’était mis d’accord la-dessus. »

Voilà t-il pas que mon ancienne vie me tombait de nouveau sur les épaules. Je me devais de tenir des engagements, des compromis que je ne suis même pas conscient d’avoir fait. Ce n’était pas moi ou du moins ce moi là il n’existait plus.

« Tu as regardé sur son collier s’il y avait un numéro ? »

« Quel collier ? »

Je jetai un bref coup d’œil vers le chien et effectivement il portait un collier autour de la gorge. Je lui détachai du cou et vis qu’il portait un numéro de téléphone.

« Bon je vais appeler » dit Maurine.

J’eus envie de l’en empêcher mais je n’avais pas le droit.

« Ils viennent le récupérer tout à l’heure. Désolée de m’être emportée, je suis juste un peu fatiguée, en plus ça n’avançait pas tout à l’heure Boulevard Saint-Germain, comme d’habitude. »

« Je peux te demander quelque chose ? »

« Oui bien sûr vas-y. »

« On va se marier ? »

« Je ne sais pas mais… »

Elle me montra sa main gauche. Elle portait une bague à l’annulaire.

« …on est fiancé .»

C’est drôle, cette bague était très belle mais ça me faisait penser au collier de chien. Elle la portait pour montrer qu’elle appartenait à quelqu’un.

« Tu sais, je me montre peut-être un peu dure avec toi mais on était heureux et toute cette histoire m’a fait très peur. Tu n’es pas conscient de tout ça et ce n’est pas ta faute. Je sais que je ne peux pas te demander de m’épouser comme c’était prévu, ni même de m’aimer et tu dois te dire mais qui c’est cette tarée qui m’interdit d’avoir un chien et qui me joue Frère Jacques au piano… »

J’avais envie de sourire car oui je m’étais dit qui est cette tarée mais je trouvais ça tellement mignon que je la pris dans mes bras et l’embrassa presque naturellement.

« J’aimerais savoir qui j’étais.»

J’aurais dû tenir un journal intime dans ma vie précédente, ça aurait été plus simple.

« On s’est rencontré lors des inscriptions à l’Institut de photographie Spéos, toi tu venais d’obtenir ton diplôme et tu exposais dans le hall. J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose d’original dans tes photographies, une lumière, une ambiance qu’on retrouvait dans chacune d’elles. Alors nous avons discuté et tu m’as proposé de poser pour toi pour une série de portrait noir et blanc. On a continué à se fréquenter et un jour tu m’as embrassé. Ensuite les choses se sont assez vite enchaînées. Tu voyageais beaucoup, je t’accompagnais. On est allé à New York, Londres, Bombay,… et puis ton père est mort. D’une crise cardiaque. Ton père c’était l’artiste, ta source d’inspiration. Pendant un an tu ne mangeais et dormais presque plus. J’étais inquiète car sa mort avait déclenché chez toi de fréquentes crises d’épilepsie. Finalement la vie a pris le dessus et les crises étaient de plus en plus espacées. Je te pensais même guéri car tu n’en avais pas eu depuis un an et la semaine dernière tu as voulu qu’on aille en Bretagne pour faire des photos des marins bretons. Tu étais enchanté du voyage et dès qu’on est rentré tu t’es enfermé dans la chambre noire. C’est cette nuit là que tu as rechuté. Je t’ai vu mourir sous mes yeux. »

Les larmes coulaient le long de ces joues roses. Moi je n’arrivais pas à en verser une. C’était donc moi l’auteur de ces nombreuses photographies. Je me découvrais encore un talent insoupçonné qui m’avait été arraché. Je me revoyais à Bombay prendre en photos le visage des beautés Hindoues mais je ne sais pas si c’est un souvenir qui me revient ou de la simple imagination. Cette fille était donc dans ma tête, mais est-ce que c’était une présence ou une obsession ? Et mon père, pourquoi ne pas avoir réussi à faire son deuil ? Et comment pourrais-je le faire maintenant qu’il a disparu de ma mémoire ?

 

Le lendemain, avant d’aller travailler, Maurine me déposa chez l’orthophoniste et comme j’étais un peu en avance je m’arrêtai à la boulangerie du coin.

« Bonjour Madame, un pain au chocolat s’il vous plaît. »

« Ca vous fera quatre-vingt-dix centimes. »

Je fouille dans mon porte-monnaie et je fus surpris de voir de petites pièces jaunes plutôt épaisses. Je n’ose rien dire mais je me rappelle très bien enfant avoir de grosses pièces métallisées pour m’acheter des bonbons au bureau de tabac.

Dans la salle d’attente il y a un ordinateur à disposition des patients. Je peine à m’en servir mais les réflexes reviennent vite. Je tape « Monnaie» et « France » dans le moteur de recherche. Je découvre alors que nous sommes passés à l’Euro depuis 1999. J’en profite aussi pour faire une recherche sur ce fameux McDonald’s dont je vois les restaurants et la publicité partout. Je tombe sur d’affreux pamphlets qui dénoncent la contribution du fast-food dans la déforestation, l’obésité, la faim dans le monde ou encore l’exploitation des employés et je me demande pourquoi Maurine m’a emmené là bas.

L’orthophoniste me reçu enfin. C’est affreux à dire mais je la trouvais plus belle que Maurine. Elle portait elle aussi une bague au doigt et j’en conclus qu’elle appartenait à quelqu’un d’autre. Sa voix était douce et rassurante.

« Est-ce que vous pouvez me citer des marques de voiture ? »

« Euh, oui. Renault, Mercedes, Volkswagen, Peugeot. »

« Très bien. Maintenant des marques de lessive. »

« Hum…Omo, … Paic ? »

« Oui, enfin concernant Paic il s’agit plutôt d’un produit vaisselle. »

« Ah, je devais plus souvent faire la vaisselle que des machines. »

Elle sourit.

« Pouvez-vous me citer des marques d’appareil photo ? »

Ce fût le trou noir et je me sentis piégé.

« Rien ne me vient, c’est assez ironique étant donné que j’ai appris hier que j’étais photographe. »

« Ce n’est pas grave. »

On fît quelques autres tests de mémoire et j’eus le sentiment que je pouvais me confier à elle.

« Je ressens une douleur. »

« Quel genre de douleur ? »

« Psychologique, vous savez celle qui vous bouffe de l’intérieur. Je vis dans l’ignorance la plus totale. J’ai eu une vie et on me l’a volé. Elle ne m’appartient plus, elle appartient aux autres. Je me sens violé de l’intérieur, de mystère en mystère. Bien sûr on me raconte, j’ai été photographe, j’ai perdu mon père, je vais me marier mais ce ne sont que des faits, des informations, des connaissances toutes roides sans saveurs, sans odeurs ni émotions. Je m’accroche aux souvenirs les plus ridicules comme ceux qui remontent à l’âge de Pierre ou celui d’il y a cinq minutes. Qui suis-je ? Ce nouveau moi qui n’a ni envie de faire de la photographie ou de se marier. Qui va-t-il devenir ? Je vois l’inquiétude de ma mort et la déception de mon absence dans le regard de mes proches. Mes questions les froissent, leur met la larme à l’œil. Et pourtant je dois faire le deuil de cette vie, m’en détacher pour revenir à ce monde. »

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